Quand on évoque Lovecraft, on pense tout de suite à des pages noircies d’un vocabulaire archaïque, des créatures tentaculaires venues d’outre-espace, et cette terreur sourde qui ne dit jamais vraiment son nom. Et pourtant, il arrive qu’un artiste s’empare de ce mythe avec sensibilité et élégance, sans trahir l’essence de l’horreur cosmique. C’est exactement ce que fait Norm Konyu avec son adaptation en bande dessinée de « L’appel à Cthulhu ».
Une vision personnelle, entre cauchemar doux et horreur sourde
Norm Konyu, ancien animateur ayant travaillé sur des séries comme Pocoyo ou Les Octonauts, n’est pas étranger à l’art de raconter avec des images simples mais évocatrices. Lorsqu’il s’empare du récit culte de Lovecraft, il choisit de ne pas tomber dans les clichés visuels habituels du mythe. Oubliez les noirs profonds, les tentacules gluants à chaque page et les visages tordus par la folie : Konyu joue sur l’ambiguïté, la suggestion, et un esthétisme étonnamment délicat.
Ses planches, au style presque naïf dans leur construction, évoquent davantage un rêve fiévreux qu’un cauchemar sanglant. Et c’est là toute sa force : il réussit à installer le malaise sans jamais en faire trop. Une case vide, une silhouette à peine esquissée, un regard perdu dans l’horizon… Tout est dans le non-dit, dans ce que le lecteur ressent sans forcément pouvoir le nommer. Exactement comme chez Lovecraft.
Une fidélité d’atmosphère plus que de mots
Loin de simplement illustrer le texte original, Konyu s’en inspire comme on feuillette un vieux grimoire : avec respect, mais aussi avec l’envie de raconter sa propre version. Il garde les grandes lignes de l’histoire – un professeur découvre un culte ancien, une entité aux origines inhumaines hante les rêves d’un artiste, un navire perdu en mer croise une terreur impossible – mais il se permet des coupures, des silences, des ellipses.
Et ça fonctionne. Car au fond, Lovecraft n’est pas un auteur de « récits » classiques. Il est un faiseur d’ambiance, un architecte du vertige, et c’est exactement ce que Norm Konyu parvient à recréer avec son crayon.
Une œuvre accessible, même pour les non-initiés
Ce qui frappe aussi dans cette BD, c’est son accessibilité. Là où certains lecteurs peuvent se sentir rebutés par le style dense et parfois archaïque de Lovecraft, l’interprétation de Konyu est fluide, lisible, presque poétique. On tourne les pages avec une étrange fascination, pris entre la beauté du trait et l’angoisse latente qui monte petit à petit.
C’est une porte d’entrée idéale pour ceux qui n’ont jamais osé plonger dans le mythe de Cthulhu, ou qui s’en sont tenus à quelques adaptations cinématographiques souvent plus tape-à-l’œil que fidèles. Et pour les fans de longue date, c’est une relecture douce-amère, presque nostalgique, qui rappelle à quel point ces histoires ont marqué l’imaginaire collectif.
L’hommage discret d’un artiste habité
Dans une interview, Konyu expliquait qu’il avait découvert Lovecraft à l’adolescence, dans une vieille édition aux pages jaunies achetée sur un marché de livres d’occasion. Ce n’était pas tant le monstre qui l’avait frappé que ce sentiment d’impuissance face à l’univers, cette idée que l’humanité n’était qu’un détail insignifiant au regard des forces cosmiques. C’est cette idée qu’il a voulu transmettre dans son adaptation : pas de grands effets, mais un poids diffus, une inquiétude sourde.
« L’appel à Cthulhu » de Norm Konyu n’est donc pas une simple BD inspirée d’un classique. C’est un hommage intime, un travail d’auteur qui capte l’essence du mythe pour la transformer en une expérience graphique inoubliable. Une œuvre qui se lit d’un souffle, mais qui reste en tête longtemps après avoir refermé la dernière page.
